Kronik : We Lost The Sea – Triumph & Disaster

Amis, soyez les bienvenus dans mon antre, ne faîtes pas vos timides, c’est sûrement la première fois ici pour vous aussi, alors installez-vous confortablement, et écoutez la voix du vieux Kärscheras. Aujourd’hui je vous propose de me suivre dans un voyage à travers les plaines, les océans, et peut-être même les cieux, mais surtout à travers vous-mêmes. Vous l’avez compris, aujourd’hui, je vais vous parler post-rock.

En Octobre dernier le groupe australien We Lost The Sea a dévoilé au monde son dernier opus intitulé Triumph & Disaster. Celui-ci fait suite à Departure Songs paru en 2015, album ayant marqué le début de l’envol du groupe en le faisant connaître à l’international, s’imposant comme une sortie majeure de l’année au sein de la scène post-rock mondiale. Comme son prédécesseur, T&D est un concept album, racontant un voyage tourmenté et post-apocalyptique s’étirant jusqu’à la fin de toute chose, alors que l’humanité observe sa propre chute.

      Tracklist :

  1. Towers
  2. A Beautiful Collapse
  3. Dust
  4. Parting Ways
  5. Distant Shores
  6. The Last Sun
  7. Mother’s Hymn

 

Avec T&D, le quintet se voit rejoint par un troisième guitariste, Carl Whitbread, illustre inconnu officiant habituellement dans le groupe Lo! (brutal sludge). On pouvait donc s’attendre à un changement assez marquant par rapport à Departure Songs, d’autant que le premier single Towers suggérait déjà en juillet dernier une rupture, un son moins aérien, presque martial par endroits, tout en gardant l’évanescence caractéristique du genre. Mais qu’en est-il finalement ? Cet album est-il le digne successeur de la pièce onirique et mélancolique ultime qu’était Departure Songs ? Un triomphe ou un désastre ? C’est pour répondre à cette question que je me suis plongé une fois de plus dans la musique irréelle de We Lost The Sea, et voici ce qu’elle m’a légué.

  • Towers :

L’album commence par cette pièce pharaonique de plus de 15 minutes à la structure labyrinthique que je n’hésiterais pas à qualifier de progressive. Dès les premières notes on sent une rupture nette avec Departure Songs. On a ici affaire à un drone anxiogène, bien loin de la plénitude procurée par le début de A Gallant Gentleman, vite rejoint par un riff de guitare qui ne dépareillerait sans doute pas dans un morceau de stoner. Et cet esprit alternera tout au long du morceau avec des passages plus planants, plus mélancoliques, restant plus fidèles au style du groupe.

Le ton de l’album est donné dès cette pièce introductive : il sera bien plus sombre que le précédent. Adieu la douce mélancolie parfois anxiogène, on a ici affaire à une ambiance bien plus lourde, plus noire, le morceau s’achevant par un crescendo martial aboutissant à une explosion mélodramatique, comme si le monde lui-même s’écroulait majestueusement sous nos yeux.

 

  • A Beautiful Collapse :

Et quoi de mieux que cet effondrement pour passer au second morceau, A Beautiful Collapse. Bien plus doux au premier abord, ce crescendo va vite reprendre les caractéristiques de Towers, transformant d’un seul coup sa petite mélodie minimaliste en mur de son massif et continu. Ce morceau s’avère bien plus rock dans ses riffs que le précédent. Une forme d’agressivité s’en dégage, comme s’il exprimait une colère sourde s’échappant d’un coup pour tout réduire en cendre, tout en effaçant totalement la quiétude du début de morceau qui reparaît parfois subrepticement sous forme d’une plainte douloureuse. A Beautiful Collapse, je vois ici l’effondrement d’un esprit soumis à des émotions intenses dont la nature est laissée à la discrétion de l’auditeur, et finissant par perdre tout repère pour ne plus voir qu’un voile rouge.

 

  • Dust :

Après toute cette urgence, ce déferlement, cette chute majestueuse et effrénée, l’album semble reprendre son souffle sur Dust. Bref interlude de 4 minutes (bref à l’échelle des autres morceaux, évidemment), ce morceau nous livre une douce mélodie de guitare agrémentée de quelques notes de trompette par moments. Le paysage qui nous est décrit ici est désolé, triste, froid, un bruit continu de vent venant accentuer cette impression en arrière-plan. L’humanité s’est effondrée d’un coup sec, il ne lui reste à ce moment-là plus d’espoir.

 

  • Parting Ways :

Et une fois ce moment de calme passé, le voyage continue paisiblement avec Parting Ways. Introduit par un riff assez neutre émotionnellement, ce titre se révèle vite bien loin de l’esprit vindicatif du début d’album. La mélodie est ici de retour, évoquant un genre de quête salvatrice. Ce morceau cherche quelque chose, il tente de faire table rase du passé, à mettre fin au regret, puis reprend du poil de la bête environ à sa moitié, se faisant violence pour avancer à travers la tourmente et les souvenirs, l’histoire d’une séparation douloureuse en somme. Le mur sonore revient, mais cette fois-ci ne se défait pas de sa mélodie, renforçant encore le torrent d’émotion, pour finalement s’achever sur une sonorité apaisée, comme si l’on avait finalement trouvé la paix, et que le passé appartenait enfin au passé.

 

  • Distant Shores :

Ce titre est exactement ce que l’on pouvait attendre du groupe, une mélodie aérienne au lapsteel, quelques accords de guitare afin d’agrémenter le tout, et le tour est joué. Il n’y a pas à épiloguer trop longuement sur ce morceau, il est finalement assez simple et répétitif du point de vue technique, mais incroyablement efficace dans sa manière de passer son message. Il n’y a qu’à fermer les yeux, se laisser porter par la mélodie, et tout apparaîtra sans effort devant vos yeux, le rivage, le soleil couchant, le cabanon sur pilotis où couler le restant de vos jours. Distant Shores est un havre de paix, une accalmie bienvenue dans un album finalement bien plus violent que ce à quoi on pouvait s’attendre.

 

  • The Last Sun :

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le début de cette ultime (ou pas ?) pièce est à la hauteur de son pendant introductif. Là où Towers semblait partir en tous sens, cet ultime soleil reste fidèle à sa mélodie et la développe dans un lent crescendo ternaire, s’étirant sur de longues minutes. Rien de révolutionnaire ici, on a déjà entendu cela des dizaines de fois partout dans les albums du genre, mais cette odeur de fin du monde m’est toujours aussi agréable après toutes ces écoutes. L’ascension continue sans cesse, jusqu’à une fin des plus brutales. Au beau milieu d’une mesure, le crescendo est brutalement interrompu pour laisser place à une reprise de la mélodie au synthé. Bémol pour moi, j’aurais préféré un silence complet à ce moment, ou une fin triomphale, mais on parvient quand même à ressentir le vide laissé par le frénétique voyage qui vient de s’achever.

 

  • Mother’s Hymn :

Mais même s’il avait toutes les qualités pour occuper cette place (jusqu’à son nom), The Last Sun n’est pas le dernier titre de l’album. Il est suivi par Mother’s Hymn, un morceau… de pop à chanteuse. Choix assez décontenançant ma foi, ce titre n’aurait pas dépareillé quelque part dans la tracklist d’un album d’Alicia Keys, de par son style de chant (il s’agit d’ailleurs du seul morceau non-instrumental de l’album), sa production, même son instrumental (avec cuivres, claquements de mains en guise de percussions, départ au piano seul…). Ce titre final se clôture sur un duo voix/piano, accompagné de chœurs gospel, achevant de me perdre totalement. Bien que pas désagréable à écouter, ce morceau dénote tant avec le reste de l’œuvre qu’il n’y trouve pas vraiment sa place musicalement parlant.

 

Mis à part ce titre final qui n’a pas fini de me faire remettre en question la notion de cohérence au sein d’un album, ce Triumph & Disaster est pour moi une flambante réussite. Le concept est prenant, ce voyage d’une mère et son enfant dans une journée vers l’anéantissement de l’humanité est parfaitement perceptible. « Are we really too late ? » se demande la chanteuse de Mother’s Hymn (seul morceau non instrumental de l’album), la seule issue est-elle réellement la destruction ou pouvons nous encore sauver notre espèce de l’auto-destruction ? La question reste en suspens, mais la musique instrumentale du groupe laisse la liberté à chacun d’y coller les mots et les images qu’il souhaite, s’affranchissant du concept pensé par le groupe, et on peut ainsi interpréter chaque morceau et même l’album dans son ensemble de bien des manières.

Cette sortie est un incontournable de cette fin d’année pour ceux d’entre vous qui aiment voyager sans bouger de leur fauteuil. Le groupe reste en cela fidèle à lui-même, et réussit son pari. Triumph & Disaster n’aura pas une aussi grande résonnance que Departure Songs, mais il reste quand même parfaitement à la hauteur de la réputation que s’est forgée le groupe et les pousse un peu plus vers une place prépondérante au sein de la scène post-rock internationale. Et qui sait si d’ici quelques années le sextet australien ne jouera pas aux côtés de titans du genre comme God Is An Astronaut ou Mogwai ? Seul l’avenir nous le dira. En attendant la vie est courte, alors écoutez du post-rock, et n’oubliez surtout pas de rêver.

Source photos : We Lost The Sea

Artworks par Matt Harvey

Karscheras

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