Silver Wolf, Blood, Bone : Là où le passé nous emporte

Le monde occidental connait depuis les années 80 une fascination grandissante pour la culture populaire japonaise, ce n’est pas une surprise, tout le monde sait ça. Mais ce qui est peut-être moins perceptible depuis par nos yeux européens c’est à quel point l’effet inverse est aussi vrai. Entre les figurines Star Wars en version Edo, le groupe de metal Versailles, les jeux vidéo, le cinéma… Le public nippon est aussi friand de culture américano-européenne que nous le sommes de mangas et anime. Aujourd’hui je vous propose donc de découvrir avec moi l’un des fruits de ces multiples et mutuelles influences. Un manga seinen dans la veine de ce qui a pu se faire avec des titres comme Akame Ga Kill par exemple, saupoudré de mythes de vampires d’Europe de l’Est et du légendaire Van Helsing. Je me suis plongé dans les quatre premiers tomes de Silver Wolf, Blood, Bone, une petite série sans prétention allant bien au-delà de toutes les attentes qu’on pouvait lui trouver.

 

Silver Wolf est un premier manga, autant pour son scénariste que son dessinateur. Sa parution ayant commencé en 2015 et étant encore en cours, aucun des deux artistes n’a encore travaillé sur une autre œuvre. Nous sommes donc face à un cas de figure assez rare ; en effet, on a souvent tendance à aller fouiller les premiers travaux d’un artiste pour tenter de comprendre un peu mieux sa carrière. Mais quand cette carrière se résume à ces premiers travaux, que faire ?

Silver Wolf, Blood , BoneEt bien on peut simplement apprécier cette œuvre en gardant le recul nécessaire face à un rendu forcément imparfait. Mais pas ici. Car Silver Wolf est ce qu’on appelle un départ magistral. Adoubé par la légendaire auteure de Fullmetal Alchemist Arakawa Hiromu (ou Hiromi) elle-même, Silver Wolf, Blood, Bone montre dès ses premiers tomes qu’il a tout des grands.

Le soutien d’Arakawa n’est pas si surprenant quand on voit à quel point ce manga est empli d’inspiration et de similitudes avec l’histoire des frères Elric. Ce qui saute aux yeux dans un premier temps est évidemment le dessin, ces personnages aux traits arrondis, très lisses, ainsi que le design du pouvoir de l’antagoniste principal (vous aurez la nette impression d’avoir déjà vu ces dents quelques part). L’univers est également étrangement similaire. Nous sommes dans les deux cas sur une imitation de l’Europe en pleine ère industrielle, sûrement au tournant du XXe siècle, dans laquelle on introduit une touche de fantastique (l’alchimie dans un cas, les vampires dans l’autre). On a également affaire dès le tome 1 à un protagoniste venu d’un pays du lointain orient (clairement identifié comme le japon), redoutable guerrier obéissant à un code d’honneur n’étant pas sans rappeler les multiples habitants de Xing du manga d’Arakawa. Enfin, ici aussi l’armée semble avoir un rôle assez prépondérant dans la société et être globalement intouchable, tout en cachant de sombres secrets mettant en doute la moralité de ses actions.

Mais la comparaison s’arrête à ces quelques éléments de contextes, car là où FMA avait pour protagonistes deux enfants en quête de rédemption, tournés vers l’avenir, et finalement aptes à mener une vie saine et pleine d’aventures après la fin du manga, le personnage principal de Silver Wolf est bien différent.

Silver Wolf, Blood , BoneOn nous parle ici de la fin d’une époque. Hans Vahpet, célèbre chasseur de vampires, n’a plus de travail depuis que ces derniers ont été totalement exterminés et profite paisiblement de sa retraite à l’approche de son soixante-dixième anniversaire. On est bien loin des frères Elric en pleine tourmente dans leur prime jeunesse, défiant toute une société d’adultes pour arriver à la vérité. A l’inverse, Hans semble avoir été mis au placard par une armée plus jeune, plus innovative, qui n’a que faire de héros solitaires et compte désormais sur sa cohésion et sa technologie pour vaincre.

Bien évidemment, un élément déclencheur va venir perturber ce statu quo et pousser Hans à reprendre du service, déclenchant une série de révélations en chaîne catastrophiques. Et partant de l’ordre établi du début où les gentils humains ont gagné la guerre contre les monstrueux vampires et profitent calmement de la paix obtenue, tout va soudainement être remis en question par l’apparition du mystérieux Grim, principal antagoniste, et de vampires survivants cherchant à réhabiliter leur peuple.

Tout le repère moral instauré à l’origine est mis à mal. Personne n’est ce qu’il semble être, comme si une immense manipulation ourdie dans l’ombre avait poussé le monde à se déchirer trente-cinq ans plus tôt, au prix de millions de vies, sans aucune raison compréhensible. Même le personnage de Hans, pourtant adulé comme le héros de la guerre, libérateur de l’humanité, est rongé par le doute après avoir exterminé les vampires non pas par altruisme mais bien par vengeance personnelle.

Silver Wolf, Blood , BoneEt après une dizaine de chapitres, plus rien n’est sûr. Les vampires ont effectivement attaqué les premiers pendant la guerre, mais était-ce pour libérer leurs frères victimes de l’armée qui se la jouait Mengele-style en secret ? Grim massacre des innocents à tour de bras mais semble enclin à les ressusciter, pouvoir qu’il possède, et cherche à faire éclater la vérité dans une sorte d’immense jeu, son action est-elle donc tout à fait répréhensible ? Et même certains des vampires survivants ne semblent plus vraiment hostiles, au point de jeûner pour ne pas avoir à tuer d’humains, faut-il donc continuer à les chasser ?

Le manga est plein de ce genre de dilemmes, de rencontres fratricides entre d’anciens compagnons d’armes, de fantômes surgissant du passé au rythme des révélations sur la Grande Guerre et des résurrections de Grim. Silver Wolf est l’histoire d’une guerre sale déguisée en guerre sainte, et de ses conséquences personnifiées par son charismatique antagoniste. Drôle de paradoxe, un premier manga aussi tourné vers le passé et les regrets, mais l’effet est saisissant, et le manga se dévore aussi vite que Grim dévore un être humain.

 

Silver Wolf, Blood, Bone est un départ en grande pompes pour ses auteurs. Bien évidemment tout n’est pas parfait, mais l’œuvre parvient à se bonifier au fil des tomes. Les combats notamment, tout à fait acceptables dans les premiers chapitres, deviennent de plus en plus dynamiques. Les personnages sont tout en nuances, chacun croyant défendre son intérêt personnel ou sa race en fonction des informations dont il dispose, allant parfois à l’exact opposé de ses intentions. Chacun suit sa propre route dans un entrelac dément de secrets et de vengeances, un chaos fluide où tout le monde est au même niveau, sans plus de légitimité qu’aucun autre. Point de héros ici, juste des meurtriers servant des intentions plus ou moins nobles avec des méthodes plus ou moins sales, tous enfermés dans une immense spirale de haine dont la seule issue semble être la mort, même si la plupart d’entre eux sont déjà morts une fois.

Silver Wolf est une réussite que je ne saurais trop vous conseiller et qui se dévore sans modération et d’une traite, et on comprend sans problème comment un grand nom comme Arakawa Hiromi a pu tomber sous son charme.

Silver Wolf, Blood, Bone

Karscheras

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