La Fille Qui a Mangé la Mort – Chapitre 20

Chapitres 20 : Les Fleurs d’une Peinture sont Immangeables mais Paraissent Délicieuses

Des drapeaux de l’Armée du Royaumes étaient placés un peu partout afin d’obstruer la route principale de Canaan. Sur les bas-côtés gauche et droite avaient été installés des camps. Si l’Armée de Libération décidait ainsi d’attaquer, elle risquait de subir de lourdes pertes.

Observant ce campement à travers une longue-vue d’espion, Ghamzeh acquiesça depuis ses quartiers généraux – tout se passait selon le plan. Arrangée en trois divisions, l’Armée de Libération avait placée les piquiers devant, suivis d’archers et enfin de cavaliers. Le rôle de la cavalerie était d’envelopper le reste de l’armée afin d’attaquer depuis les flancs, mais pour l’opération actuelle, elle n’allait pas être utile. Ainsi, son rôle principal allait être d’attirer l’ennemi.

« Je m’en doutais ; Canaan risque d’être compliqué. C’est une forteresse naturelle. La prendre nécessiterait une large quantité de soldats. »

S’exclama le général en direction de Ghamzeh. Il faisait partie de la faction Belta, et était un ancien ami de Ghamzeh. Il était populaire et excellait en tant que commandant des troupes. Ce qui lui manquait lorsqu’il était avec le Royaume, c’était de la chance et des connexions avec la noblesse. Pour ces deux simples raisons, sa route vers la promotion était fermée, et il occupait des postes de bon-à-rien.

« Tout à fait. Mais dans une telle situation, il leur sera compliqué de se ravitailler. En d’autre termes, ils sont faits comme des rats du moment que nous bloquons la route principale. Ils suffoqueront et mourront rapidement. Après tout, il leur est pratiquement impossible de se procurer localement des vivres et autres produits de nécessité. »

Si l’unité menée par le Colonel Hastie prenait Cyrus, alors elle pouvait considérer Canaan comme sienne. Ils prenaient ici un risque, mais ce risque en valait la peine. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle Diener ne s’y était pas opposé.

« Si l’attaque surprise se passe bien, la route vers la Capitale Royale nous sera ouverte. Si cela arrive, la position de Sir Ghamzeh au sein de l’Armée de Libération sera incontestable. Vous pourrez ainsi travailler de plus en plus pour Sir Altura. »

« Haha, non, non, cela m’importe peu. Je ne combats que pour la victoire de l’Armée de Libération. »

Répondit modestement Ghamzeh, un sourire peu sincère sur le visage. Actuellement, les deux factions croisaient le fer. Pour obtenir la confiance d’Altura, il voulait réussir coûte que coûte.

« Cependant, si nous ne faisons qu’échanger ainsi des regards avec eux, ils risquent de nous suspecter. Il est temps d’envoyer la cavalerie afin de les provoquer. »

Le général conseilla d’envoyer la cavalerie. Ce n’était en soi pas une mauvaise idée. Cela pouvait leur permettre de tester les eaux, en plus d’asséner un coup à l’ennemi.

« Dans ce cas, je vous interdis de poursuivre l’ennemi trop loin, et s’ils contre-attaquent, je vous ordonne de sonner immédiatement la retraite. Si nous parvenons temporairement à les faire attaquer, alors tant mieux. Frappons-les fort. »

« Très bien, envoyez un messager à l’unité de cavalerie ! »

Avec l’accord de Ghamzeh, le général ordonna à la cavalerie de lancer une attaque de diversion. Le messager acquiesça, et quitta le quartier général. Et, comme s’ils venaient d’échanger leur place, un autre messager arriva.

« Sir Ghamzeh. Nous avons des informations concernant l’un des agents infiltré dans le camp ennemi. Le Général Yalder a été accusé d’avoir violé les lois militaires, avant d’être rétrogradé et envoyé à la Capitale Royale. Il mène actuellement les soldats vaincus d’Antigua et Belta. »

« Alors la situation est aussi difficile pour le Général Yalder, huh. Sa renommée tombe en morceau, comme s’il n’avait jamais été à la tête de la Division d’Acier. J’espère ne jamais finir comme lui. »

« Cela nous arrange. Grâce à son imprudence, nous avons pu capturer Antigua. »

Un général sympathisait, tandis qu’un autre se moquait.

« …….Fumu. »

Après avoir lu le rapport, Ghamzeh croisa les bras. C’était actuellement le Maréchal Sharov qui défendait Canaan. Il était connu pour sa prudence et sa capacité à commander. Comment un tel homme pourrait-il décider de divises d’importantes troupes juste avant une bataille défensive ? Ghamzeh avait un mauvais pressentiment. Devait-il continuer l’opération ? Il y avait trop peu de raisons pour arrêter. Il décida donc de considérer sa réaction comme de la simple timidité.

« Qu’y a-t-il, Officier du Personnel Ghamzeh ? »

« ……..Non, rien. Je ne faisais que réfléchir. »

« Hahaha, tu t’inquiètes, mais le Colonel Hastie accomplira sans le moindre doute sa mission. En termes de bataille de collines et de plaines, il est le meilleur de l’Armée de Libération. Même le Colonel Fynn ne fait pas le poids. »

« Ce n’est pas faux. Peu importe les moyens, il doit prendre la Forteresse Cyrus. Tout est pour la victoire de l’Armée de Libération, et pour les citoyens opprimés. »

Ghamzeh finit par acquiescer avec force, comme pour écarter tous ses doutes. Il pouvait tout à fait mettre fin à l’opération ici et maintenant. Mais dans ce cas, tous les individus et tout l’argent investi seraient gâchés. Cela nécessiterait aussi de faire reculer toutes les troupes mobilisées devant eux. Et si par chance il ne s’agissait que d’une crainte sans le moindre fondement, il risquait de laisser passer une importante victoire. Mettre fin à une opération lancée était plus difficile que son lancement en lui-même.

Tout ira bien. Tout se passera très bien. Je ne peux pas considérer un arrêt de l’opération à ce stade. Cela ne ferait-il pas justement plaisir à Diener ? Je vais lui montrer ; je vais réussir.

 

Quartier Général de la Première Armée, un Camp dans les Montagnes.

Observant les soldats ennemis depuis les hauteurs, Sharov caressait sa barbe blanche. Il était convaincu de son raisonnement. Il n’arrivait pas à sentir chez l’ennemi le désir d’attaquer les fortifications. Grâce à ses longues années d’expérience, il arrivait à détecter les différentes humeurs du champ de bataille. Il avait du mal à expliquer avec des mots cette sensation illogique, mais il s’agissait d’une intuition qu’il parvenait plus ou moins à comprendre. Et ici, cette sensation lui disait que l’adversaire attendait quelque chose. Un autre facteur entrait en jeu. Un facteur qui, si ignoré, signerait la fin de la Région Canaan.

« Votre Excellence. Un groupe ennemi attaque. Devons-nous les intercepter. »

« Ignorez-les jusqu’à ce qu’ils entrent à portée de nos archers. S’ils s’approchent davantage, utilisez les lances. Inutile de les poursuive. C’est une diversion évidente. »

« Votre Excellence ! Si nous nous contentons de les observer et de défendre, le moral des troupes risque de chuter. Donnez-moi l’ordre d’attaquer. Permettez-moi de les écraser. »

Proposa Barbora à Sharov.

Sa proposition n’était pas déplacée. En effet, s’ils laissaient l’ennemi les provoquer, les soldats risquaient de douter de leur commandant. Rapidement, un tel sentiment risquerait d’évoluer en fatigue et risquerait de causer un effondrement des rangs. Parfois, le courage de lancer une attaque était nécessaire pour maintenir le moral des troupes.

« ……Barbora. Ta chance viendra bientôt. En attendant, sois patient. »

« Mais, Votre Excellence. Une rumeur que nous ne pouvons ignorer se propage parmi les soldats ! Nous devons attaquer maintenant ! »

Récemment, une rumeur s’était mise à circuler.

Pourquoi le Maréchal Sharov ne combattait-il pas activement l’Armée de Libération ? Y avait-il une raison profonde ? Ou peut-être s’agissait-il d’autre chose ? Les soldats avaient entendu dire que Sharov connaissait depuis longtemps le commandant de l’armée rebelle, Behrouz. Ils avaient aussi entendu dire qu’il avait été invité plusieurs fois par le Commandant Suprême Altura à rejoindre les rebelles. Peut-être que le Maréchal hésitait à accepter une telle proposition ? Etc.

« C’est ridicule. Ignorez ces rumeurs idiotes. Si nous avançons et attaquons dans le simple but d’effacer des rumeurs, nous risquons de tomber dans le piège de l’ennemi. Au contraire, si nous attendons, les rumeurs disparaitront d’elles-mêmes. »

Sharov continua sur son idée première, et regarda en direction du camp ennemi.

Après avoir ordonné à Yalder de rester en état d’alerte, il avait envoyé un autre ordre : ‘En cas d’urgence, agissez comme bon vous semble ; pas besoin d’attendre les ordres.’

Barbora regarda avec mépris Sharov, qui ne semblait aucunement perturbé. Il ne pouvait pas obtenir le moindre achèvement en défendant. De plus, il n’était pas non plus certain de l’authenticité des rumeurs. Tout le monde savait que Sharov et Behrouz étaient proches, au point de pouvoir être considérés comme meilleurs amis. Dans la précédente bataille de succession, Sharov était resté neutre tandis que Behrouz s’était retrouvé du côté perdant. Ce dernier s’était rangé du côté du fils aîné afin de l’aider à accéder au trône, mais après la victoire de Kristoff, le roi actuel, Behrouz avait été exilé. Sharov quant à lui supportait lui aussi en secret le fils ainé, mais puisqu’il ne voulait pas être impliqué dans cette histoire de succession, il était resté neutre. C’était cette neutralité qui lui avait permis d’atteindre sa position actuelle. Si les gagnants et perdants avaient été inversés, ce serait Behrouz qui serait devenu Maréchal.

N’essayant même pas de cacher son ambition, Barbora serra le poing.

Que la rumeur soit vraie ou non, cela ne me concerne pas. Un jour, je t’attraperai par la queue et je te ferai tomber de ton piédestal.

 

Au Milieu de la Crête Golbahar.

Cachés parmi la dense végétation, 3 000 fantassins légers avançaient. Le brouillard s’était installé, réduisant le champ de vision. Plusieurs membres du groupe principal d’infanterie s’étaient déjà perdus.

Les points d’appui étaient rares, et plusieurs malchanceux étaient tombés. Même si chaque soldat était entrainé, tout entrainement était inutile sans visibilité. En faisant chaque pas avec prudence, ils avançaient, encore et toujours.

A la tête de l’unité, le Colonel Hastie avait un étrange pressentiment. Ils n’étaient pourtant pas sur la mauvaise route. Le guide qu’ils avaient embauché affirmait se diriger dans la bonne direction. Le timing faisait partie du place, et ils n’étaient pas particulièrement en retard par rapport au plan initial. Après avoir descendu la crête, ils devaient se ruer vers Cyrus ; rien de plus.

Quelle atmosphère fort déplaisante. Et ce n’est pas dû au brouillard. C’est presque comme si

—Comme s’ils étaient des criminels marchant vers la potence. Ce genre de vision apparut dans son esprit. Ce devait pourtant être une route vers la gloire ; pas une route vers la ruine. C’était ce qu’on lui avait dit. Cependant, il continuait à avancer silencieusement dans les ténèbres de cette route de montagne. Cette situation l’intimidait.

Je réfléchis trop. Je suis un commandant ; je ne peux pas avoir peur.

Il essuya la sueur recouvrant son front, et se força à penser cela. Rapidement, il décida de jeter un coup d’œil à ses subordonnés derrière lui. Tous semblaient inquiets, et marchaient en respirant silencieusement. Tous étaient des soldats d’élite, des personnes choisies pour leur capacité à voyager en montagne, et malgré tout ça, leurs visages semblaient sombres. Ils ne ressemblaient aucunement à une unité sur le point de lancer une attaque surprise. Ils ressemblaient plutôt à des soldats vaincus. Le Colonel Hastie n’était pas le seul ; eux aussi sentaient cette lourde atmosphère. Mais ils continuaient à avancer, comme pour effacer cette impression de leurs esprits. S’ils s’arrêtaient le moindre instant, ils risquaient de ne plus pouvoir avancer d’un pas.

Le guide prit la parole d’une petite voix.

« ………Il est rare… que cette crête soit aussi… silencieuse. »

« Que voulez-vous dire ? »

« Huh. D’habitude, les oiseaux chantent, et il est possible de rencontrer des cerfs, des sangliers et d’autres petits animaux. Mais aujourd’hui, je n’en ai pas vu un seul. Au contraire, et je n’entends même pas le bruit des insectes….. Ils ont dû fuir cet…. étrange froid. »

Les bruits des oiseaux, des insectes et autres animaux— aucun n’était audible. Tout ce que l’on pouvait entendre, c’était l’arrivée occasionnelle du vent, et les bruits de pas des soldats.

« Il doit bien y avoir des jours comme ça, non ? Ne soyez pas aussi alarmiste. »

« ……C’est… c’est vraiment inquiétant. J’ai l’impression d’être sur une montagne différente. »

Le guide, à l’apparence humble, se frotta les mains comme s’il avait froid. Il avait embauché à l’aide d’une belle somme d’argent. Il n’avait pas de connexions particulières avec le Royaume ou l’Armée de Libération. Seul le profit l’intéressait. C’était pourquoi il avait accepté d’être leur guide. Mais il commençait à le regretter. Face à une atmosphère aussi inquiétante, il aurait préféré rester chez lui. Il essuya sa nuque avec un tissu. Sa sueur froide lui donnait un sentiment de dégoût.

« …….Colonel. Est-ce que… tout va bien se passer ? »

En voyant la crainte du guide, un soldat vint interroger Hastie. Il était surprenant qu’un homme ayant servi assez longtemps pour être considéré comme un vétéran paraisse aussi craintif.

Hastie voulait sincèrement partager ce qu’il pensait, mais résista et répondit,

« Cela dépendra de nous. Nous y arriverons— ce genre d’enthousiaste est nécessaire. »

« V-Vous avez raison. Pardonnez-moi. »

« Je comprends l’inquiétude précédant une attaque surprise. Mais vous êtes un vétéran. Vous ne pouvez montrer votre inquiétude. La peur est contagieuse. »

« S-Sir ! »

Encouragea Hastie en tapant le dos du Vétéran. S’il ne faisait pas ainsi preuve de courage, il risquait lui aussi d’inquiéter le reste des troupes. Il agrippa fermement son épée. Dans un but d’agilité, les soldats étaient tous armés d’épées ou de javelots. Aucune lance n’avait été emmenée, afin de ne pas déranger la marche. Quant à ceux équipés d’arcs, il s’agissait d’arcs courts. L’arrière-garde accompagnée du wagon de ravitaillement était équipée des armes habituelles, et s’apprêtait à les donner dès leur arrivée. En raison de leur chargement, leur vitesse de marche était plus lente. C’était donc le groupe d’Hastie, à l’avant, qui était chargé d’attaquer Cyrus.

« …..La nuit va bientôt laisser place au jour. Guide, sommes-nous bientôt arrivés ? »

« Ou-Oui. C’est juste un peu plus loin. Le reste du voyage sera plus simple. Regardez, le sol est de plus en plus plat. »

« Bien, continuez à nous guider jusqu’à ce que nous soyons descendus de la montagne. Que tout le monde persévère un peu plus longtemps ! »

Hastie avala une large bouffée d’air, et se remit à marcher.

 

Au lever du soleil, les 3 000 fantassins finirent enfin de descendre la crête. Le brouillard avait terminé de s’installer, masquant les plaines à hauteur de genoux. Avant que le brouillard ne disparaisse, ils devaient marcher autant que possible, afin de s’approcher de la Forteresse Cyrus.

Hastie fit un signal de la main, ordonnant aux troupes d’avancer. Il ne pouvait pas se permettre de crier, car si des ennemis patrouillaient dans les environs, ils risquaient de les repérer.

Après environ une heure de marche, une silhouette apparut dans le brouillard. Une silhouette humaine montée à cheval. Un drapeau noir dansait au dessus d’elle. La silhouette semblait se diriger vers eux.

Avant de considérer la personne en face comme un ennemi, Hastie considéra la possibilité qu’il s’agisse d’un allié. Après tout, le Baron Evjen, responsable de la région autour de Cyrus, connaissait leur itinéraire et leur heure approximative d’arrivée. Peut-être venait-il en tant que renfort. Et même si cela risquait de jurer avec l’infanterie légère, toute cavalerie était la bienvenue. S’il s’agissait d’un ennemi, celui-ci aurait déjà attaqué en restant à distance. Mais juste au cas où, il ordonna à ses subordonnés de se préparer au combat.

« Préparez-vous à attaquer lorsque je vous en donnerais l’ordre. En attendant, restez sur vos gardes. »

« Sir. »

« Compris. »

Les fantassins sortirent leurs épées de leurs fourreaux, et se mirent en position de combat.

« Nous Sommes les Renards Traversant la Crête. Êtes-vous les Renards qui Attendent ? »

Ils n’allaient bien évidemment pas annoncer leur appartenance à l’Armée de Libération. Plusieurs mots de passe avaient été établis avec Evjen en amont. Ce, pour éviter toute attaque sur des alliés lors de la prise de contrôle de Cyrus. Mais aucune réponse ne vint du groupe de cavaliers devant lui.

Le groupe s’approcha davantage d’eux. Ses mots auraient dû les atteindre. S’ils décidaient de l’ignorer, alors il y avait de grandes chances pour qu’ils fassent partie de l’Armée du Royaume. Une profonde tension s’empara des soldats. Petit à petit, les cavaliers s’approchaient au sein du brouillard.

Lorsqu’il prit la décision de reposer à nouveau la question, un cri retentit derrière lui.

« Si vous ne répondez pas, nous attaquerons ! Êtes-vous les— »

« A-Attaque ennemie !! L’arrière de notre unité est attaquée par la cavalerie ennemie !! »

« Qu-Quoi !? A-Alors ce sont… ! »

Lorsque Hastie se retourna de nouveau, une femme officier à cheval apparut devant lui. Cette femme portait une armure noire qui n’allait pas avec son corps frêle, et brandissait une large faux. Il émanait d’elle l’aura maudite qu’il avait repéré plus tôt. Ce n’était ni de la soif de sang, ni de la colère. C’était une présence sombre et difficile à décrire.

Naturellement enveloppée dans cette aura ténébreuse, elle apparut devant Hastie. Celui-ci serra de toute ses forces son épée. Des gouttes de sueur dégoulinaient le long de son échine.

Ahh. Cette sensation provenait de ce monstre

La femme sourit férocement. Lorsque Hastie attaqua avec son épée, son crâne fut fendu en deux par la lame incurvée et maléfique. Le sang frais teinta de rouge le brouillard, offrant un fantastique spectacle.

La femme qui venait de tuer Hastie, Schera, se mit à abattre silencieusement sa faux. A chaque mouvement de la main, les âmes des soldats de l’Armée de Libération étaient fauchées.

Le spectacle de fontaines rouges jaillissantes unes à unes dans le brouillard s’encra profondément dans l’esprit des soldats de l’Armée de Libération. Les membres de l’unité d’Hastie, assistant à ce spectacle, furent à l’avenir tourmentés par ces images. Plusieurs d’entre eux développèrent des maladies mentales, ou devinrent tout simplement fous.

Un certain soldat, souhaitant laisser une trace de cette magnifique tragédie, se mit à peindre une toile entièrement en rouge et blanc. Sans que personne ne puisse l’arrêter, il peignit sans fin. Rapidement, une fois cette peinture terminée, il se trancha la gorge. Il riait pendant ses derniers instants, et signa la toile de son sang.

Sur la toile était visible une jeune fille aux mains fines, cueillant avec grâce des fleurs dans un brouillard irréel. Sa peau était d’un blanc livide, et du sol jaillissait des fontaines rouges mouillant ses pieds. Dans les flaques rouges étaient peints des fleurs et des crânes blancs, faisant ressentir à tout spectateur une peur incontrôlée. Plus tard, cette peinture fut affichée par quelqu’un trouvant dommage de la détruire, et devint une œuvre d’art célèbre parmi la noblesse.

—Cette peinture était inspirée et montrait Schera de l’Armée du Royaume, et était intitulée : L’Enterrement Floral de Schera Zade.

 

—Dans la brume, le massacre unilatéral continuait.

A l’intérieur du brouillard, où aucune visibilité n’était présente, la Cavalerie de Schera massacrait l’infanterie légère. Avant que leurs épées ne puissent atteindre le corps des cavaliers, ils étaient transpercés par les lances et uns à uns, tombaient. Pourtant, ils tentèrent désespérément de résister, et un brave soldat parvint même à faire tomber un cavalier de sa monture. Mais sa résistance était vaine, et plusieurs lances embrochèrent le Vétéran. L’unité d’attaque surprise ayant perdue son commandant, les soldats tentèrent de retourner sur la crête dans une panique générale.

A cet instant, la brume se dissipa, faisant apparaitre l’Armée du Royaume en embuscade.

« HAHAHAHA !  FAITES PARLER VOTRE RAGE ! TUEZ L’ARMEE REBELLE ! »

« CHARGEZ ! VENGANCE POUR BELTA ! »

« OU ! »

De la base de la crête retentit la colère de Yalder, qui menait l’attaque à revers. Les Généraux de l’ancienne Quatrième Armée levèrent eux aussi leurs épées, la voix tremblante. Les tambours de guerre rugirent, s’ajoutant au bruit de leurs voix.

Après avoir découvert la stratégie et le chemin qu’allait emprunter l’armée rebelle, Yalder avait envoyé la Cavalerie de Schera au front, et stationné sa Légion Unie sur le flanc, en embuscade.

La Cavalerie de Schera devait ainsi arrêter l’avancée ennemie, et une fois la brume dissipée, il pouvait attaquer l’ennemi en tenaille. Le groupe d’Hastie venait de marcher vers sa propre mort.

L’unité d’Hastie s’effondra sous les assauts menés depuis quatre directions. De ses 3 000 fantassins, 2 000 perdirent la vie. Quant aux survivants, ceux-ci parvinrent à fuir, vaincus.

De plus, Yalder, suivant son propre jugement, décida d’avancer sur la crête. Son Officier du Personnel Sidamo lui conseilla aussi de profiter de cette opportunité. Il envoya donc un message à Sharov. La Cavalerie de Schera reçut pour mission la défense de Cyrus, et la Légion Unie se mit à monter à toute vitesse la crête.

« NOUS ALLONS LEUR FAIRE GOÛTER UNE CHARGE DEPUIS LES HAUTEURS ! MONTRONS-LEUR DE QUOI EST CAPABLE LA LEGION UNIE ! TOUTES NOS DETTES SERONT ICI EFFACEES ! »

« LONGUE VIE A LA LEGION UNIE DE YALDER ! LONGUE VIE AU ROYAUME YUZE ! »

« CHARGEZ ! LA VICTOIRE EST A NOUS ! EN AVANT ! »

Les 5 000 membres de l’arrière-garde de l’Armée de Libération, attaqués par surprise depuis les hauteurs, entrèrent dans un état de panique totale. La situation ne leur laissait pas le temps de se mettre en rangs. Leurs armes étaient inadaptées, et les mouvements de l’unité de ravitaillement étaient lents. Profitant de cet élan victorieux, Yalder ne pouvait être arrêté. L’ennemi jeta provisions et armes, et se mit à courir pour sa vie.

L’unité de Yalder plongea les soldats ennemis en fuite sous une intense pluie de flèches et de pierres, et parvint à infliger de lourdes pertes.

Mais le brave général ne s’arrêta pas là. La Légion Unie de Yalder descendit la crête tout en se reposant, avant d’envahir la région de Canaan. Plusieurs confrontations eurent lieu près de la route principale de Canaan. Yalder fit même signe d’attaquer l’Armée de Libération forte de 30 000 hommes depuis le flanc.

Et, apprenant la situation par l’intermédiaire de messagers, Sharov décida d’attaquer à son tour.

« Nous allons profiter de la situation pour lancer une offensive générale. Chassons l’armée rebelle. »

Ils quittèrent leur camp de montagne, et en formation d’écaille de poisson, firent face à l’Armée de Libération. Les deux armées se combattirent sur les plaines.

Au départ, la bataille semblait prendre une tournure défavorable étant donné le moral élevé de l’Armée de Libération. Mais la situation s’inversa lorsque la Légion de Yalder les frappa depuis le flanc. Créant une ouverture dans leur formation, l’avant de la Première Armée, la Division Barbora, écrasa les fantassins ennemis. Accompagné de ses gardes d’élite, lui aussi abattait sa lance, inspirant les soldats tout autour de lui. Les fantassins de l’Armée de Libération tombèrent les uns après les autres.

« MASSACREZ L’ARMEE REBELLE ! N’EN LAISSEZ PAS UN SEUL SURVIVRE !! ILS NE SONT QU’UN MELANGE DE FAIBLES, IL N’Y A RIEN A CRAINDRE !! »

Ghamzeh de l’Armée de Libération, considérant la situation comme trop dangereuse, décida de battre en retraite. L’un des généraux lui fit instantanément part de son mécontentement, affirmant qu’il était trop tôt pour abandonner. La situation était désavantageuse, mais ils n’avaient pas encore été vaincus. Ils avaient subis une puissante attaque, mais leur formation de trois rangs était toujours intacte.

Puisque les soldats ennemis avaient quittés leur camp de montagne, il était possible de résister en attente de renforts. Des soldats menés par Altura étaient stationnés à Belta, et battre en retraite ici signifierait une défaite pour l’Armée de Libération. Leur moral était élevé grâce à des victoires successives, et plusieurs seigneurs féodaux s’étaient alliés à eux. Une défaite aurait des conséquences inévitables sur les stratégies futures. Mais Ghamzeh considéra la situation, fit taire le général et ordonna la retraite.

« Il est inutile de continuer à combattre. Maintenant que la traversée de la crête a échouée, nous ferions mieux de battre en retraite. J’endosserais toute la responsabilité. En attendant, continuez à suivre mes ordres. »

Ordonna strictement Ghamzeh en essayant de calmer sa colère. Perdre 30 000 soldats ici risquait d’affecter le contrôle de Belta. Ils devaient à tout prix éviter le pire cas de figure possible. C’était le devoir d’un Officier du Personnel, responsable des stratégies. Plaçant la cavalerie arrière en embuscade, l’Armée de Libération battit ainsi en retraite.

Sharov jugea dangereux de poursuivre l’ennemi. Même si l’ennemi était en déroute, il parvenait à maintenir la discipline dans les rangs. S’ils étaient trop tentés et envoyaient une unité, ils risquaient de se faire encercler. Rejetant donc la proposition de Barbora d’une poursuite de l’ennemi avec toutes les forces disponibles, il ordonna aux troupes de reculer jusqu’au campement montagneux.

« Pourquoi cessons-nous l’attaque maintenant !? Si nous leur infligeons assez de dégâts ici, la capture de Belta en sera facilitée ! Bon sang Sharov, oublie tes inquiétudes ! C’est une opportunité unique qui se présente à toi, et tu veux la laisser passer !? »

« Un rapport nous est parvenu de la part de nos éclaireurs, affirmant que l’ennemi nous tend une embuscade— »

« Idiot ! Nous pouvons simplement écraser cette embuscade ! Nous sommes dans une position de supériorité ! Un pas de plus, et nous pourrions annihiler la force principale ennemie ! »

Barbora brisa le bâton de commandant qu’il tenait dans sa main. Mais malgré l’attitude menaçante de Barbora, un adjudant prit la parole,

« Sir Barbora. Nos alliés reculent ! Si nous ne les suivons pas, nous risquons de violer les règles militaires ! »

« A mon plus grand chagrin, je n’ai pas le choix ! Nous battons en retraite ! ……Sharov, sale lâche ! »

Barbora hésita jusqu’au dernier moment à reculer, mais finit par retourner au camp. Le tout en maudissant son officier supérieur tout au long du chemin.

Si Sharov avait écouté les conseils de Barbora et lancé l’assaut avec l’armée toute entière, l’Armée du Royaume aurait certainement gagné la bataille, et obtenu un point d’ancrage à Belta.

Mais bien sûr, leurs forces auraient aussi été réduites par la contre-attaque. Elles auraient été assez réduites pour mettre à mal la défense de Canaan.

Préférant agir lentement et prudemment, Sharov avait choisi la défense, et cela lui avait permis de protéger Canaan. Cependant, l’Armée du Royaume se trouvait toujours en infériorité numérique, n’ayant pas pu détruire l’armée principale de l’Armée de Libération.

Personne ne pouvait savoir quel choix était le bon. Mais étant donné les résultats immédiats, c’était une victoire de l’Armée de Libération, qui venait d’écraser l’attaque surprise ennemie.

 

Venant tout juste de finir de combattre, la Cavalerie de Schera suivit les ordres en entra dans la Forteresse Cyrus. Les chevaux furent mis au repos, et les soldats purent récupérer leurs forces.

Grignotant un morceau de pain, Schera se dirigea vers la clinique médicale. Établie dans la forteresse, il s’agissait d’un hôpital de fortune pour soigner maladies et blessures. Les cavaliers blessés plus tôt au combat saluèrent leur officier supérieur en la voyant.

Parmi eux, plusieurs personnes étaient couchées, perdant leur sang tout en recevant l’aide des médecins. S’ils avaient été des généraux ou des nobles, ils auraient pu recevoir des traitements par magie. Mais pour eux, simples soldats, seuls des antidouleurs étaient prescrits. Un homme, l’esprit embrumé et ayant reçu de sévères blessures, mourait doucement. Il errait entre la vie et la mort.

Schera s’approcha d’un médecin soldat équipé d’une blouse blanche. Lorsque ses yeux rencontrèrent les siens, il secoua tristement la tête, avant de se diriger vers un autre lit. Schera baissa les yeux vers le jeune homme. Celui-ci, le visage pâle, chuchotait en tremblant de tous ses membres.

Schera sourit.

« Tu t’es bien battu. Grâce aux efforts de tout le monde, nous avons obtenu une splendide victoire. Tu peux donc continuer à combattre à mes côtés, et tuer l’armée rebelle. De nombreuses batailles nous attendent encore. »

Lorsqu’elle caressa sa joue, le soldat se tourna vers Schera. Mais son regard était vague, et semblait regarder quelque chose d’autre. Le visage de Schera n’était probablement même plus dans son champ de vision.

« Lieu…. Lieutenant Col…..S……Schera……J….J…..Je…… »

Il vomit tout à coup une large quantité de sang. Sur les draps blancs apparut une large tâche rouge. Il avait reçu une blessure fatale au niveau de ses organes. C’était un miracle d’avoir survécu jusqu’à arriver là. Grâce à une pure ténacité et le désir d’avancer aux côtés de son commandant jusqu’à la fin, il avait réussi à tenir. Mais il ne pouvait plus rien faire ici. C’était impossible, même avec l’aide d’un excellent docteur. Les médecins soldats lui avaient donnés une large quantité d’antidouleurs ; il n’existait pas d’autres moyens pour effacer sa douleur.

Il n’y avait qu’une chose que Schera pouvait faire. Il n’y avait qu’une chose que la Mort pouvait faire. Elle tenait ça dans sa main gauche, et un bonbon dans sa main droite.

« Hey, tu as faim ? J’ai un bonbon délicieux et sucré pour toi. C’est l’un de ceux que le Second Lieutenant Katarina partage habituellement avec moi. J’en ai un. Je vais t’en donner un à toi aussi. Tu as de la chance. »

« Lieutenant Colonel…. S….Schera— »

Schera plaça le bonbon blanc dans la bouche du jeune homme qui continuait à prononcer son nom, le regard vide. Puis, tenant doucement sa bouche couleur rouge, elle lui offrit avec son autre main le dernier traitement.

« Ce bonbon rouge… a l’air délicieux. Mais je te l’ai donné, alors je vais me retenir. »

Schera ferma les yeux du soldat maintenant immobile, puis sourit doucement. Elle laissa le bonbon rouge recraché et tombé près du visage du jeune homme, et rangea ça dans sa poche. Schera fit un signe de la main aux soldats blessés la saluant, puis quitta la clinique.

 

Schera s’étira de façon exagérée, maudissant le soleil brûlant. En levant la tête, elle vit au dessus de la tour principale, près du drapeau du Royaume, un fier et triomphant drapeau noir. Quelqu’un de la cavalerie l’avait probablement placé là, de son propre chef. Déchirant le pain en morceaux, elle en jeta les fragments dans sa bouche.

Un corbeau noir atterrit à ses pieds. Lorsqu’elle lui lança des miettes, l’animal se mit à sautiller et à picorer le sol. Il leva ensuite les yeux en direction de Schera et croassa, comme pour demander quelque chose.

« Je n’ai plus de nourriture à te donner, corbeau. Ne sois pas fainéant et va la chercher toi-même. Après tout, tu peux voler librement dans le ciel toi. »

N’ayant rien d’autre à faire et ayant mangé tout ce qui lui restait, Schera se retourna et partit.

Le corbeau la regarda s’éloigner. Perdant vite tout intérêt, il s’envola en direction d’un autre lieu.

—Après ça, et jusqu’à ce que Katarina l’appelle, Schera passa le temps et fit une sieste sur la tour de garde. Il y avait une montagne de choses à faire, tel qu’envoyer un rapport à Sidamo, mais décidant de s’en ficher, Schera laissa de telles tâches à son excellente adjudante.

A ses côtés se promenait, têtu, le corbeau n’ayant pas réussi à trouver de quoi manger.

 

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