Grave

Grave

Wild Bunch Distribution – Réalisé par Julia Ducourneau – Sortie le 15 Mars 2017.

Conte morbide et fascinant, tels sont les qualificatifs de ce film à la sortie de cette séance riche en émotions. Lourde réputation qui le précède malgré lui, Grave est une oeuvre hybride à part dans le genre horrifique. Clairement orientée vers le body horror, la réalisatrice veut avant tout faire passer l’émotion par la chair. Autrement dit, elle tend à nous raconter le parcours initiatique d’une adolescence à la découverte de ses désirs et dans l’acceptation de son identité à travers celui de son propre corps. Pari  réussi ? Voici quatre points positifs, et deux points négatifs sur ce film.

 

Plus + tableau

  • Un esthétisme à couper le souffle !

Inspirée par Cronenberg (on pense directement au film « La Mouche »), Julia Ducrouneau lie la transformation psychique de Justine à celle de la transmutation physique de son corps. La violence supposée des scènes d’ingestions de divers chaires humaines n’est pas ce qui a de plus dérangeant ! Elles sont peu nombreuses et bien que très crues elles peuvent être comparées à des tableaux lyriques grâce à une mise en scène maîtrisée. J’étais personnellement plus dérangée parboite de nuit grave le frottement intensif de Justine sur sa peau recouverte de boutons durant les premières phases de sa mutation ou par les moments de tension annonçant la prochaine « victime » accentuée par une musique puissante et oppressante. La couleur rouge est évidemment très prégnante, et ne quitte aucun plan du film. De même, le lieu choisi à savoir une école vétérinaire renforce une vision très biologique du corps humain en comparaison à celui de l’animal : la fameuse scène où Justine saigne du nez ( et qui a été reprise pour l’affiche) fera immédiatement sens aux spectateurs. Les scènes des soirées étudiantes où s’entremêlent corps, sexe et alcool montrent à elles-seules la maîtrise parfaite des plans. Un film très symbolique qu’on aura plaisir à chercher les multiples indices laissés à chaque plan pour en savourer la moindre substance.

 

 

  • Une héroïne badass et attachante.

Grâce à l’alternance de prises de vues en focales et grand angle, nous sommes plongés littéralement dans le corps de Justine où on ressent la moindre de ses émotions tels que la joie ou la peur. On vit viscéralement à ses côtés sa prise de conscience de sa nouvelle identité : ses apports positifs ( confiance en soi, l’acceptation de sa sexualité naissante) comme négatifs ( l’envie de chair fraîche, l’instinct presque bestial de son nouveau caractère).Difficile de pas s’attacher à cette anti-héroïne, reflet de l’adolescente d’aujourd’hui avec ses doutes et ses envies d’émancipation. héroïne graveJ’ai apprécié le traitement de la sexualité féminine dans cette oeuvre qui l’aborde sans taboo, avec réalisme et illustrant bien les démons dont est en proie l’héroïne. Les scènes sexuelles ont véritablement un sens, définissant les choix de l’héroïne pour la suite de l’histoire et non comme simple scène de voyeurisme, de fantasme. Justine est une jeune femme qui s’assume et ça fait plaisir de voir de tels modèles féminins dans le cinéma actuel !

  • Une bande son maîtrisée.

Un des plus grands atouts du film ! La bande son participe inévitablement à l’immersion du spectateur à la fois près du corps de notre héroïne mais aussi au sein de l’atmosphère froide et déshumanisée des locaux de l’école vétérinaire. Le spectateur est comme omniscient au récit par moments. On a donc une bonne alternance entre des morceaux plus classiques avec des sons stridents et forts marquant les moments de tension et des morceaux contemporains de rap et de pop pour illustrer les différents tableaux de vie de chaque personnage. Les compositions et les choix musicaux de Jim Williams mettent vraiment en valeur le jeune actrice principale Garance Marillier, la sublime sur tous les plans. L’ajout d’un orgue à la scène du « doigt » ajoute une touche gothique sympathique. Voici un des morceaux qu’on peut écouter, je vous invite à découvrir les autres ICI et ICI

  • Une intrigue réfléchie et osée.

Le film n’est pas une oeuvre qu’on peut qualifier « d’horreur » et c’est tant mieux. La richesse de son scénario réside dans le fait qu’on touche à plusieurs genres dont la comédie. On n’est ni dans le gore, ni dans la simple fable adolescente aseptisée. Le cannibalisme sert juste de métaphore à la découverte de soi et non comme une critique sociologique de la société. C’est ce qui rend ce film si particulier en comparaison à d’autres films de zombie jouant la dimension « monstrueuse » du groupe qui auraient misés sur une mise en scène explosive. La caractère intime de cette oeuvre lui permet de pas juger pas ses personnages, malgré leurs différences sans pour autant se censurer dans la mise en scène. grave sangChaque idée soulevée est exposée au spectateur jusqu’au bout. Comme la médecin au début du film qui parle d’une adolescente en surpoids. Il se contente d’exposer des faits souvent dérangeant, ne laissant pas indifférent. Même si les actes commis par les personnages sont atroces, la caméra n’est pas manichéenne, elle ne va pas chercher à savoir qui a raison ou qui est en tord. Le sort de Justine c’est elle qui l’a entre les mains. Son animalité qui ressort est présente pour nous rappeler que nous ne sommes, nous être humains, que des animaux. Un film qui a donc plusieurs niveaux de lecture et qui fera écho à chacun d’entre nous. Ce film est organique, physiologique (la fameuse séance d’épilation qui tourne à l’épreuve physique, pour Justine comme pour le spectateur). Tout y passe, comme autant d’indices à interpréter : sang, sueur, vomi, plaies, poils et peaux en lambeaux…

 

Moins -

  • Une fin un peu bancale.

Je n’ai pas vu l’heure passée face à ce film, j’en demandai peut-être encore un peu plus histoire de prolonger l’expérience. Ce qui peut expliquer que la fin m’a quelque peu déçue. Elle clôture le film sur un petit cliffhanger sympathique non dénué d’humour mais laisse un goût d’inachevé. La scène finale entre les deux soeurs devait nous émouvoir mais rate le coche. Les dernières explications tombent à grande vitesse comme pour vite boucler la boucle comme on dit. 

  • Certains personnages secondaires peu exploités.

On sait que le film prend le parti pris de Justine dès le début. C’est son histoire, c’est à travers ses yeux qu’on verra les différents personnages évolués. Cependant, certains rôle secondaires qui sont fort appréciables comme celui d’Adrien ou Alexia la soeur de notre héroïne, ne sont pas assez mis en avant. Bien que chacun remplit sa part durant toute l’intrigue, graveil aurait fallu un film de 2h30 pour aborder tous les points de vus ! Respectant le principe du départ, il était inévitable de pas pouvoir connaître plus les pensées de chacun : mais c’est surtout Alexia qui en souffre le plus. Personnage double et fascinant, elle ne sera pas exploitée jusqu’au bout, n’incarnant que le versant « maléfique » de ce que peut devenir Justine. De ce fait, on s’y attache pas vraiment et la fin nous paraît donc fade. Néanmoins, tous les acteurs jouent à la perfection, j’applaudis leurs performances ! 

Julia Ducournau réalise un film absolument subversif et pulsionnel. Renversant les dogmes établis du cannibalisme, où déterminisme, pulsions adolescente, fratrie, amour, bestialité, rapport à la chair se bousculent dans un climat à la fois décontracté, cynique, glauque, fascinant et saignant sans tomber dans un fan-service goresque. À l’image de son héroïne cannibale, qui fera tout pour conserver son humanité. Grave est un ovni dans le cinéma français que je vous conseille d’aller voir vous allez prendre plein les yeux ! ( et les tripes.. hihi).

Merci à Bubbling Bulb pour la petite-avant première en présence de la réalisatrice Julia Ducourneau ! 🙂  Un beau moment d’échange pour mieux comprendre la vision de son oeuvre, et la découverte d’une belle pépite cinématographique. 

 

 

Foxanzu

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