Alcest @ La Machine du Moulin Rouge (07/03/2020)

Le mois dernier avait lieu l’un des derniers concerts parisiens avant que ceux-ci ne soient contraints d’être annulés. Et bien que nous ayons des concerts ou des festivals en ligne, rien ne vaut une expérience en live, loin de la tristesse hivernale. Ces soirées qui vous transportent et vous font rêver. On revient sur cet Autre Temps, où nous avons pu voir Alcest, accompagnés de Kælan Mikla et Birds in Row, à la Machine du Moulin Rouge.

Là où naissent les couleurs nouvelles

Kaelan Mikla @ Machine du Moulin Rouge – Emma Forni

19h. Une odeur d’encens nous parvient, tandis que la cloche de Gandreið retentit sur scène. Les musiciennes de Kælan Mikla, plongées dans le noir, sont immobiles. Rien n’est visible, sinon l’embout incandescent du bâton d’encens qui se distingue de la pénombre. L’atmosphère est solennelle, à la limite du mystique. Et pour cause, les lumières nous dévoilent les islandaises vêtues de longues robes noires, et de chaînes, fidèles à l’imagerie populaire des sorcières, qu’elles revendiquent par ailleurs.

 

 

Mais cet univers sombre prendra une toute autre dimension avec le second titre, Hvernig kemst ég upp?, qui révèlera toutes les couleurs du feu qui anime le groupe. Leur univers psychédélique, créé par le synthé de Sólveig Matthildur, associé au chant aliéné de Laufey Soffía, tantôt déchirant, tantôt chuchoté, et la basse lourde, quasiment organique de Margrét Rósa, plonge la salle dans une temporalité nouvelle, déconnectée du réel. La gestuelle lente et élégante qui rythme la performance visuelle ne fait qu’accentuer cela. Le public, dansant au pied de l’autel, est comme envoûté par le rituel déroutant qui s’offre à lui.
Au rythme de la baguette magique de la vocaliste sur le touchpad, les incantations défilent, essentiellement issues de leur dernier album, « Nótt eftir nótt », sans pour autant oublier leur titre phare, Kalt. Mais nous sommes à quelques minutes des premières lueurs du jour, et l’office doit prendre fin. Il s’achèvera comme il a commencé : avec des salutations dans le noir.

SETLIST

▪ Gandreið
▪ Nornalagið
▪ Hvernig kemst ég upp?
▪ Skuggadans
▪ Draumadís
▪ Næturblóm
▪ Kalt
▪ Ándvaka
▪ Nótt eftir nótt

 

 

Oiseaux de proie.

Birds in Row @ Machine du Moulin Rouge – Emma Forni

L’aube arrive, et les premiers chants des oiseaux se font entendre. Plongés dans une lumière tamisée, grâce à des guirlandes d’ampoules, Birds in Row font leur entrée. Soudain, We Count So We Don’t Have to Listen détonne, et sort l’audience de son sommeil latent.
De fait, le groupe de Laval nous offre un set énergique et déterminé dès les premières notes. Le chant de Bart est cru, honnête, et surtout politique. Ils ont pour but de faire bouger les consciences, et comptent bien nous le faire savoir. Après quelques remerciements, le frontman nous annonce : « Cette chanson parle de nous tous ! Ce qu’on voit chez les autres, ce n’est pas ce qu’ils sont. Oui, cette personne sourit, mais ce ne sont que des pixels figés. Si quelqu’un est beau, cela ne veut pas dire qu’on ne l’est pas soi-même. Si quelqu’un a du talent, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas talentueux. Vous êtes tous intelligents, tous beaux. Bon et, on est partis en tournée, et il y a ce p****n de 49-3 qui est tombé, donc il faut se bouger le c*l ! », avant de jouer Remember Us Better Than We Are.

Les musiciens jouent face à face, et la communion qui réside entre eux est réellement forte. Les garçons vivent leurs morceaux et y croient, ce qui nous donne envie d’y croire avec eux, de croire que les choses peuvent changer, malgré le pessimisme que l’on peut ressentir si l’on fait un simple constat de la situation.
D’ailleurs, le vocaliste utilise l’humour pour insister sur l’urgence : « J’adore l’eau, dans 30 ans il n’y en aura plus ». Avant de continuer de façon plus grave : « Je ne pense pas qu’il faille avoir fait maths sup’ ou n’importe quelle grande école pour comprendre qu’on est dans la m*rde. Il y a des gens qui prennent des décisions pour nous, et nous mettent dans cette situation. Personne ne fait jamais rien pour nous, pour notre bien, donc il serait bien de prendre soin les uns des autres, au moins un tout petit peu. La solution n’est pas de nous détester, car on est tous dans le même bateau ». Comme un pied-de-nez au 49-3 dont ils viennent de parler, le groupe joue 15-38, dont le refrain est repris en choeur par la salle.

Leur show est hyper puissant et important, tant dans les morceaux que dans les messages qu’il véhicule. Dans un dernier effort, les garçons dénoncent la violence qui peut exister entre les gens, avec You, Me & The Violence. Et comme si le message était déjà bien ancré dans les esprits, il sera possible de voir à plusieurs reprises dans la salle des moments d’aide et de gentillesse rares en concert, comme des personnes laissant leur place à des photographes, ou faisant passer les plus petits devant, sans que personne ne dise rien.

En somme, les artistes nous ont offert ce soir un set profondément humain, chaleureux, et authentique, qui permettra sans doute à des lecteurs attentifs de leurs paroles, de se coucher moins bêtes, mais plus humains.

 

SETLIST

▪ We Count So We Don’t Have to Listen
▪ Love Is Political
▪ I Don’t Dance
▪ Remember Us Better Than We Are
▪ Can’t Leave
▪ Can’t Lie
▪ Can’t Love
▪ 15-38
▪ Fossils
▪ We vs. Us
▪ You, Me & The Violence
▪ O’Dear

 

 

Sapphire.

 

Alcest @ Machine du Moulin Rouge – Emma Forni

Après tant d’agitation, la douceur du soir réapparaît avec les tant attendus Alcest. Le set s’ouvre par une performance de batterie de Winterhalter, le temps que les musiciens se mettent en place, avant de jouer Les Jardins de Minuit, et Protection, issus de « Spiritual Instinct ». Malheureusement, la voix de Neige se fond dans la brume instrumentale, desservi par un son mal calibré, qui sera rectifié à la fin de ces derniers.
Pour autant, cela ne semble pas déranger l’audience qui semble dans une bulle, subjuguée, happée par l’élégance des morceaux, à tel point que l’on pourrait se demander s’ils sont encore présents. Mais lorsque les deux premiers morceaux s’achèvent, les applaudissement n’en finissent pas, et le frontman laisse échapper un « wow ! », la main sur le coeur, avant d’ajouter : « C’est la dernière date de notre tournée, donc on est un peu tristes forcément, mais au moins, c’est à Paris ! », puis de jouer la sublime Oiseau de Proie.
Les musiciens paraissent vivre les morceaux qu’ils interprètent, reflétant l’expérience qu’est Alcest : des émotions pures, à nu, une part de vie et d’intériorité que nous offre Neige à travers ses compositions. Et ces émotions, sans doute exacerbées en raison de la fin de la tournée, le submergent. Il semble perdre ses mots face à l’acclamation, et se montre extrêmement reconnaissant envers le public, comme s’il ne comprenait pas la ferveur de l’audience. Mais sans doute la beauté d’Alcest réside dans le fait d’être un bijou qui n’est pas conscient de l’être.

Pourtant, ce n’est pas comme s’il en était à ses débuts. En effet, dix ans après la sortie de « Écailles de Lune », et treize ans après ses débuts avec « Souvenirs d’un autre monde », Neige en a parcouru du chemin, et pas des moindres. Alcest est devenu un groupe incontournable de la scène musicale française, et continue de convaincre à chaque concert, grâce à des morceaux émotionnellement riches et authentiques.
Et ce soir ne fera que le confirmer davantage, puisque la salle est indéniablement sous le charme. De fait, par endroits, les gens ferment les yeux pour savourer sa composition éthérée, dans un silence quasi-religieux. Pour autant, lorsque Neige sollicite le public, pour taper des mains ou lever le poing, la réponse est immédiate, montrant la dévotion des fans envers le groupe. De nouveau, un timide « merci beaucoup, vraiment », accompagné d’un hochement de tête signifiant sa gêne. Il en sera de même à chaque fin de morceau. Les titres s’enchaînent, mêlant gravité, force, et délicatesse avec brio, à l’instar de la merveilleuse Autre Temps, de la déchirante Écailles de Lune – Part 2, ou encore la délicieuse Sapphire pour ne citer que celles-ci.
La première vague du set se clôture sur Kodama, dont le choeur sera repris par le public afin de les rappeler, ce qui sera salué par le frontman « Merci, vraiment, c’est la première fois qu’on nous la fait, vraiment ! Bravo ! ».
Sur ces mots, la formation entonne Là où naissent les couleurs nouvelles, pour terminer sur Délivrance.
Indria, Zero et Winterhalter quittent la scène, laissant Neige seul, à genoux, levant sa guitare, solennellement.

 

Alcest @ Machine du Moulin Rouge – Emma Forni

Enfin, si un concert d’Alcest est toujours un voyage de l’Âme, nos sens ont aussi voyagé avec Kælan Mikla, tout comme notre esprit avec Birds in Row.
Trois groupes aux identités drastiquement différentes nous ont montré un miroir de notre humanité dans toute sa beauté, ses couleurs ; dans toute sa richesse, sa fragilité et sa force. Chacun des groupes nous a fait vivre des émotions différentes, et ce, dans la plus grande humilité, et authenticité.

Un dernier voyage avant les funérailles du monde, que nous sommes heureux d’avoir vécu.

 

SETLIST

▪ Les Jardins de minuit
▪ Protection
▪ Oiseaux de proie
▪ Autre temps
▪ Écailles de lune – Part 2
▪ Sapphire
▪ Le Miroir
▪ Kodama

ENCORE

▪ Là où naissent les couleurs nouvelles
▪ Délivrance

 

Aurélie Renault

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